Le Comité national d'éthique, où vous avez siégé, a-t-il résolu le statut de l'embryon?
Le comité a justement été créé en 1983, peu après la naissance d'Amandine, pour traiter de cette question. Les «sages», parmi lesquels je me suis senti parfois très minoritaire, ont commencé par définir un concept de «personne potentielle», qui donne à l'embryon un statut général en fonction de son devenir. On a ensuite beaucoup discuté pour déterminer à quel stade de son développement il peut être considéré comme une personne humaine à part entière. Celui-ci a d'abord été fixé après ce qu'on appelle la «phase d'adhérence», lorsque s'établit le lien avec la mère au moment de l'implantation. Certains ont fait valoir qu'à ce stade il y a encore des probabilités de fausse couche ou la possibilité que l'œuf se divise pour donner des jumeaux, donc une ambiguïté. On a donc reculé la limite jusqu'à l'apparition du système nerveux. Mais une grenouille aussi dispose d'un système nerveux. C'est pourquoi certains veulent aller jusqu'à la formation du cortex. D'autres vous diront qu'avant vingt-deux semaines l'embryon n'est pas viable hors de l'utérus de la mère... On en est là pour l'instant, et la question n'est toujours pas vraiment tranchée.
La France ne passe-t-elle pas pour un pays trop rigide en matière de bioéthique, avec plus d'interdits que dans d'autres pays européens?
Les mentalités ont quand même beaucoup évolué. La loi de 1994 a officialisé la fécondation in vitro et le diagnostic préimplantatoire (DPI) [qui permet de sélectionner des embryons «indemnes» en cas de maladie génétique grave des parents], tout en interdisant les recherches sur l'embryon. En 2004, cette interdiction a été levée et on a accepté l'extension du DPI dans le cas de ce qu'on appelle les «bébés-médicaments». L'embryon est sélectionné pour être compatible avec un frère ou une sœur malade, dans l'éventualité d'une greffe de moelle. Mais on a interdit le clonage reproductif. Tout cela évolue, et les discussions vont reprendre en vue de la prochaine révision de la loi de bioéthique, prévue en 2009.
Que souhaiteriez-vous changer dans la loi actuelle?
Le don d'ovocytes pose problème en France, parce qu'on ne trouve pas de donneuses - dans une moindre mesure, c'est aussi le cas pour le don de sperme. Personnellement, je pense que la règle de l'anonymat et de la gratuité trouve un peu ses limites. Certaines femmes seraient prêtes, par exemple, à effectuer un don pour leur sœur ou pour une amie, mais elles ne le peuvent pas. La gratuité absolue me semble être aussi un frein: on pourrait imaginer une forme de reconnaissance, une indemnisation de cet acte qui n'est quand même pas simple, non pas de la main à la main, mais pris en charge par la société, sans pour autant tomber dans le commerce à outrance comme en Espagne ou aux Etats-Unis.
Les problèmes éthiques qui se posent aujourd'hui sont souvent d'ordre non pas scientifique mais commercial, comme les mères porteuses ou la vente de gamètes sur Internet...
C'est vrai qu'à côté des questions posées par les véritables innovations, comme la congélation d'ovocytes, les cellules souches ou le DPI, s'ajoutent celles qui ne relèvent pas de la science, mais de ses applications ou de son exploitation. Les mères porteuses, qui cèdent un enfant à un couple qui ne l'a pas conçu, cela a toujours existé, mais ce qui est nouveau, c'est que cette pratique se médicalise et se commercialise. Pour moi, il s'agit avant tout de phénomènes de société, de questions que le médecin ou le scientifique n'a pas plus de légitimité à trancher que n'importe qui d'autre. La science est-elle responsable de ça? Elle donne des outils; tout dépend de la façon dont on va les utiliser. Le problème qui me préoccupe le plus, c'est celui des limites de la liberté individuelle...
Que voulez-vous dire?
Nous avons connu depuis cinquante ans une formidable accélération du progrès technique, en même temps qu'un bouleversement des mœurs et des modes de vie. Tout cela a créé une survalorisation de l'individu, en particulier de l'enfant, auquel on voue un véritable culte. La stérilité apparaît aujourd'hui comme insupportable. Ce n'est plus «un bébé quand je veux», c'est «un bébé à tout prix». La grande question est de savoir s'il faut imposer des règles pour tenir compte des autres, ou bien favoriser les désirs de l'individu, en particulier de celui qui a les moyens de les énoncer et de les satisfaire. Que doit répondre le médecin à une femme homosexuelle qui veut faire un enfant en solo? Ou à un couple qui veut un garçon? Ou quand on lui demande d'interrompre une grossesse parce qu'on a découvert une petite malformation de l'embryon à l'échographie? Faut-il donner raison aux parents qui disent: «Mais ce n'est pas vous qui allez élever cet enfant»? Heureusement qu'il y a une loi, cela facilite les choses. Dans les pays où il n'y a pas de règlement, c'est la personne contre la personne, celle qui est achetable et celle qui paie...
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